L’ostéopathie est une discipline qui peut susciter de nombreuses questions sur son identité, ses techniques, et sa distinction avec d’autres pratiques de thérapie manuelle. Une réflexion émerge d’un constat intrigant : il est parfois plus facile de trouver des similitudes entre un kinésithérapeute et un ostéopathe qui abordent le patient de manière similaire, qu’entre deux ostéopathes aux pratiques et visions très différentes. De même, un chiropracteur peut se rapprocher davantage d’un ostéopathe dans son approche qu’un confrère de sa propre profession.
Ce constat met en lumière un point essentiel : l’approche du thérapeute dépend avant tout de sa manière d’incarner sa pratique et de son raisonnement individuel, au-delà de son titre. Ainsi, un kinésithérapeute, un chiropracteur et un ostéopathe peuvent partager un même modèle de soin et pratiquer de manière identique, tandis que des praticiens d’une même profession peuvent se situer aux antipodes de leur discipline.
Cela soulève une question importante : si les différences entre ces professions ne dépendent plus du titre, quelle est leur frontière réelle et leur nécessité de séparation ?
Cet article propose d’explorer ces questions en clarifiant les distinctions entre :
- L’ostéopathie, en tant que philosophie et raisonnement global.
- Les techniques manuelles ostéopathique, en tant qu’outils thérapeutiques spécifiques.
- La thérapie manuelle générale, partagée par d’autres professions comme les kinésithérapeutes ou les chiropracteurs.
1) Qu’est-ce que l’ostéopathie ?
Définition générale
Selon le ministère de la santé « L’ostéopathe, dans une approche systémique, après diagnostic ostéopathique,
effectue des mobilisations et des manipulations pour la prise en charge des
dysfonctions ostéopathiques du corps humain.
Ces manipulations et mobilisations ont pour but de prévenir ou de remédier aux
dysfonctions en vue de maintenir ou d’améliorer l’état de santé1 des personnes, à
l’exclusion des pathologies organiques qui nécessitent une intervention
thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par agent physique ».
Selon l’OMS, l’ostéopathie est une approche de soin basée sur le concept de « Body-Mind-Spirit », qui considère le patient dans sa globalité, en intégrant le corps, l’esprit, et la quête de sens. Elle repose sur la capacité du corps à s’autoréguler, sur la recherche des causes des déséquilibres plutôt que sur le traitement isolé des symptômes, et incorpore une vision simili vitaliste notamment à travers la notion de MRP qui peut être définit comme « la vie en mouvement ».
La définition du ministère de la santé pourrait laisser de coté la vision « mind-spirit » et se focaliser principalement sur l’apsect biomédicale. Sur l’idée de « l’Homme machine » ayant des dysfonctions qu’il faudrait réparer.
La vision biomécanique de l’ostéopathie peut encore etre vue comme dominante.
Elle constitue le socle le plus visible et le plus transmis dans les cursus standardisés et dans la communication “grand public” de la profession. On y enseigne Still comme l’homme de l’anatomie, et Sutherland comme l’inventeur d’un système crânien aux pièces mobiles, mais on oublie trop souvent l’évolution de leur pensée, leurs références spirituelles, leur rapport à la nature, à la vie comme force organisatrice.
Cette simplification n’est pas anodine. Elle peut s’expliquer en partie par le besoin de légitimité qu’a connu l’ostéopathie, notamment en Europe et en France, dans un paysage médical dominé par le modèle biomédical. Pour être acceptée, l’ostéopathie a souvent dû se “normaliser”, adopter un langage scientifique, rationnel, objectivable, quitte à laisser de côté ce qui relevait du subjectif, du subtil, de l’impalpable. La popularité de la “dysfonction somatique” ou des “chaînes lésionnelles” dans l’enseignement en est témoin.
Le problème c’est que l’humain ne fonctionne pas comme une machine. Et à vouloir entrer dans le moule biomédicale, les praticien « biomécanicien » se sont à mon sens éloignés de l’ostéopathie. Alors pour le déroulé de cet article nous développeront notre analyse autour de la compréhension globale de la profession. De la vision « body mind spirit ». Pour élaborer un raisonnement nous serons amenés à appliquer la méthode de Descartes, à savoir catégoriser l’ostéopathie par des critères de classification. Toutefois, gardez en tête que cette démarche n’a que pour but de vous amener à mieux comprendre les parties mais non l’ensemble.
« le tout est plus grand que la sommes de ses parties ».
Pour aller plus loin sur ces notions et notamment sur l’évolution de l’image de l’ostéopathie je vous oriente vers cet article.
Les fondements du raisonnement ostéopathique
L’ostéopathie se distingue par :
La recherche de perte de mobilité :
Identifier les restrictions de mouvement dans les tissus (fascias, articulations, viscères, ligaments) pour les restaurer, permettant au corps de mieux s’autoréguler et faire des lien anatomo-physiologique entre différentes structures (ex : douleur de dos en lien avec des tension viscérales).- Une vision simili vitaliste : que l’on retrouve dans certains écrits de Still, certainement inspiré par son inspiration amérindienne. Aujourd’hui elle se traduit à travers la notion de « vie en mouvement » ou de Mécanisme respiratoire primaire (MRP). La vision vitaliste du MRP colle davantage avec la définition qu’en fait Sutherland vers la fin de sa vie en parlant de mouvement semblable à une marée plutôt que au début à travers le modèle crânien. Paradoxalement cette vision s’oppose un peu à la première dans sa mise en application : la recherche n’est plus sur des dysfonctions, mais sur trouver la santé dans le patient pour la diffuser.
- Une palpation fine et spécifique :
La palpation est un outil ostéopathique central. Elle permettrait de percevoir les tensions, les densités tissulaires et cette fameuse vie en mouvement.
Définition de synthèse
L’ostéopathie est une philosophie et une méthode de soin qui utilise une palpation fine et des techniques manuelles pour restaurer la mobilité des tissus, trouver la santé dans la lésion, et stimuler l’autorégulation du corps. Elle repose sur un raisonnement holistique, à savoir une compréhension des interactions structurelles, fonctionnelles et psychique du patient : le corps, l’esprit, et la conscience/la quête de sens/la spiritualité.
2) Qu’est-ce qu’une technique manuelle ostéopathique ?
Définition générale
Selon le référentiel d’activité et de compétence des ostéopathes fourni par le ministère de la santé, l’ « ensemble de gestes fondés des principes ostéopathique » est une technique ostéopathique.
Pour qu’une technique découle des principes et soit donc qualifiée d’ostéopathique, elle doit répondre à certains critères :
Son effet spécifique correspond au modèle ostéopathique :
Par exemple, une technique tissulaire qui modifie la configuration fasciale, relâche des tensions tissulaire et redonne de la mobilité correspond à cette définition.Elle est réalisée dans un raisonnement ostéopathique :
Une technique manuelle non ostéopathique le devient lorsque le praticien l’intègre dans une approche globale, qui prend en compte les interconnexions tissulaires, la régulation du corps et l’équilibre général. Utilisé hors de ce raisonnement elle redevient non ostéopathique.Elle produit des effets mesurables supérieurs à un simple mime :
Une technique ostéopathique suit des étapes précises (exemple : un déroulé tissulaire), et son efficacité va au-delà de ce qui peut être obtenu par une simple apposition des mains sans « technicité » particulière ajoutée.
Exemple de différence entre technique ostéopathique et thérapie manuelle générale
Une technique manuelle ostéopathique :
Toucher l’abdomen pour restaurer la mobilité d’un fascia d’un viscère, ou d’une zone dans son ensemble est ostéopathique.Une technique de thérapie manuelle générale :
Toucher l’abdomen pour déclencher des effets non spécifiques (ex. : toucher thérapeutique) et proposer uniquement une relaxation ne s’inscrit pas dans le paradigme ostéopathique.
Une technique ne définit pas l’ostéopathie
Une technique ostéopathique peut être pratiquée par un non-ostéopathe. Inversement, un ostéopathe peut utiliser des techniques de thérapie manuelle non spécifiquement ostéopathiques. Ce qui fait la prise en charge ostéopathique, c’est le raisonnement global, l’intention derrière la technique et/ou l’effet différent obtenu en utilisant la démarche ostéopathique dans la réalisation de la technique.
3) Quand le modèle ostéopathique évolue
L’ostéopathie n’est pas figée dans le temps. Son raisonnement global a conduit au développement de nombreux modèles explicatifs au fil des années, comme le crânien, le viscéral, ou la biodynamique. Ces approches, bien que marquées par leurs origines ostéopathique, posent la question de leur identité lorsqu’elles sont intégrées dans d’autres pratiques et lorsque le modèle en question évolue.
L’exemple du modèle crânien
- Ancienne vision : Sutherland avait développé le concept crânien autour de la Synchondrose Sphéno-Basilaire (SSB), considérée comme une articulation clé dans le mouvement crânien ainsi qu’une vision mécaniste du MRP (qu’il a fait évolué au fur et à mesure de sa vie).
- Évolution actuelle : Aujourd’hui, cette approche se concentre davantage sur la mobilité tissulaire et les raideurs osseuses, sans s’appuyer sur la SSB qui est ossifiée chez 99% des gens à 16ans. La logique reste un regain de mobilité et l’utilisation palpatoire pour repérer des zones en besoin de mouvement.
- Autre possibilité de pratique : Poser les mains sur la tête sans recherche palpatoire et sans recherche d’effet spécifique mais uniquement un bien être, un effet de toucher thérapeutique, et faire globalement bouger la zone sans précision particulière.
Le modèle évolue entre le premier et le second cas mais la notion de mobilité tissulaire et de qualité de mouvement perçu par la palpation reste présent. Le 3ème cas ne fait appel à aucun raisonnement ostéopathique spécifique.
Dans cet exemple précis, le modèle crânien a été enseigné et véhiculé en tant qu’approche mécanique, alors que Sutherland lui même l’a fait évolué de son vivant. Nous en revenons à l’idée d’intégrer le moule biomédical.
4) Une réflexion sur l’appartenance des techniques
Critères pour qu’une technique soit ostéopathique
- Son intégration dans un raisonnement ostéopathique : Recherche de mobilité à la palpation, autorégulation, MRP…
- Les effets qu’elle produit : En cohérence avec le paradigme ostéopathique.
- Sa mise en place spécifique : Requiert des compétences palpatoire et une mise en place particulière (attention focalisé, relâchement du thérapeute, intention de mobilisation tissulaire, recherche de mouvement…)
Quand une technique s’éloigne de l’ostéopathie
- Si elle est appliquée sans intention ou raisonnement ostéopathique.
- Si c’est un mime ou une version simplifiée (ex : apposition des mains).
5) À quel point le modèle peut-il évoluer sans perdre son identité ?
Un continuum gradué et subjectif
Chaque praticien positionne son ostéopathie entre ces deux pôles en fonction des notions qu’il privilégie. Certains valoriseront les concepts historiques comme le MRP, d’autres mettront l’accent sur la notion de regain de mobilité, et d’autres sur l’amélioration de la vascularisation. L’importance donnée au principes philosophiques ostéopathiques est subjectif et le « degrée ostéopathique » d’une pratique, technique, approche, le sera aussi.
Quand l’évolution devient une rupture
- Abandon des principes fondamentaux : Si tous les principes sont délaissés.
- Dilution disciplinaire : Si les techniques sont en apparence similaires mais utilisées sans intention ostéopathique.
Conclusion :
- Etat des lieux
Notion à évaluer pour évaluer l’ostéopathie spécifiquement :
- conscience tissulaire : Sujet controversé, définir la conscience serait la première étape et proposer des critères spécifiques à observer dans le cas d’une telle conscience ou non : Aspect philosophique et personnel au praticien, cela entre également dans la vision vitaliste de l’ostéopathie.
- Fasciathérapie : Branche de l’ostéopathie et spécifique au paradigme ostéopathique, l’évaluation de techniques dites « tissulaires » comparées à des techniques simulées et/ou de thérapie manuelle standards permettrait d’évaluer le paradigme ostéopathique et non uniquement une technique manuelle. Les explorations sous la peau du Pr Guimberteau semble aller dans le sens d’un effet spécifique sur le fascia lors des techniques ostéopathique comparé à une simple apposition des mains.
- Diminution de la raideur d’une structure : La sonoelastographie (SW) est un moyen de mesurer la raideur d’un tissus (Gao et al. 2019). Utiliser cet outil avant/après de la thérapie manuelle. Une raideur diminuée ainsi qu’une meilleure mobilité en lien avec l’amélioration des symptômes entrent également dans ce que prédit le paradigme ostéopathique. Devantery 2023 a montré une telle différence.
- Intéroception : La stimulation intéroceptive spécifiquement n’est pas prédit par le paradigme ostéopathique. Toutefois les techniques ostéopathiques avec cette composante d’intention particulière et d’écoute palpatoire semblent stimuler davantage qu’un simple toucher cette voie neurologique. On observe donc un effet spécifique supérieur lors d’une vraie technique ostéopathique que lors d’une simulation de cette même technique.
Toute cette réflexion n’apporte pas de solution, mais elle ouvre je pense sur la question de l’identité. A quel aspect de l’ostéopathie nous identifions nous ? Est-ce que l’étiquette « ostéopathe » est importante pour nous ? Et pour quelle(s) raison(s) ?
L’ostéopathie évolue sur un continuum, où chaque praticien trouve sa propre identité.
L’Ostéopathie en tant que telle n’est pas une technique ou un enchainement de technique, c’est une approche et une philosophie de soin. Aujourd’hui ce « degrée ostéopathique » est différent en fonction de chaque thérapeute et n’est pas visible par les patients avant la prise de rendez vous. Le choix se fait donc sur l’approche du praticien et non sur son titre. Un patient ne choisis pas un ostéopathe parce qu’il est plus ou moins ostéopathe mais parce que son approche lui convient. Le degrée ostéopathique de ce praticien sera plus ou moins grand selon la vision de chacun. Il en va de même pour le choix de son kinésithérapeute ou de son chiropracteur, ou du moins sur la continuité du soin avec le même professionnel.
On peut donc raisonnablement se demander si cette séparation des titres est pertinente.
Deux (ou trois) solutions pertinentes :
1° Si l’ajout des techniques ostéopathiques n’apporte aucun bénéfices par rapport au thérapies manuelles classiques.
En ayant une profession de rééducateur (compétence à part des kinésithérapeutes d’aujourd’hui) et une profession de thérapeute manuel cela unifierait les cursus de formation et chaque praticien pourrait développer sa sensibilité personnelle envers son approche.
Les patients iraient donc voir un thérapeute manuel qui a une approche qui lui correspond. Chacun avec un socle commun de compétence théorique et une spécificité personnelle en plus en fonction de sa pratique. En somme une situation similaire à celle d’aujourd’hui mais avec une unification des titres et une unification du cursus.
2° Si l’ajout des techniques ostéopathique montre un intérêt supérieur dans certains contexte par rapport à une thérapie manuelle classique
Renforcer l’identité de chaque profession en en faisant une identité propre et définie. Supprimer cette gradation d’identité et cadrer que « ostéopathie » correspond à telle et telle vision, chiropracteur à telle et telle vision etc etc. La profession de kinésithérapeute étant plus ou moins dépourvue de fondement philosophique, leur définition est celle qui colle le plus à une profession de thérapeute manuel évoqué dans le point 1.
OU
- Accepter l’incertitude. Conserver la situation actuelle avec des compétences professionnels qui se recoupent et des visions au sein même d’une profession qui peuvent diverger. Laisser à la charge de chaque thérapeute de s’identifier à travers sa pratique et non uniquement par son titre pour améliorer la communication auprès des patients.
OU
- Unification des titres et conservation des techniques ostéopathique (et chiro etc…) ayant montré une supériorité dans leur évaluation et délaisser celles qui sont montré comme n’apportant pas de plus value. Une profession EBM, incluant la philosophie des pratiques et leur technicité lors que c’est indiqué. Le choix du thérapeute reste possible quant à l’apprentissage de techniques n’ayant pas prouvé leur intéret supérieur étant donné le doute scientifique intrinsèque à la démarche scientifique.
Mot de la fin :
Les dernieres recherches montrent, au moins dans les conditions étudiées, une supériorité de l’approche ostéopathique comparé à une simulation (voir ici) ou à d’autres thérapies éprouvées (dans le cas présent sur la plagiocéphalie).
Utiliser les données scientifiques ne conduit pas tout le monde à faire la même chose. Derrière chaque kiné, chiro, ostéo, il y a une personne. Il y a une philosophie de vie, une façon de percevoir le monde et la réalité qui nous entoure, une métaphysique.
Cette perception propre à chacun va trouver écho dans diverses approches. Parfois soutenu par les preuves, parfois mises en défaut par les preuves, parfois non évaluées.
Dans ce contexte, si la philosophie personnelle d’un praticien s’aligne avec la vision ostéopathique, alors il trouve aujourd’hui dans les données scientifiques un appui croissant pour asseoir sa légitimité, sans avoir à renier cette approche body, mind, spirit qui a toujours été au cœur de la discipline.
Source :
Nota bene :
Ce texte est une reflexion en cours et les propositions évoquées en fin n’en sont que le résultat. Comme tout processus en cours, elles peuvent être amené à évoluer, à être complètement remanié.